OEUVRES

Marie-Jeanne HOFFNER

Intérieurs

Le lieu qu'a choisi Maire-Jeanne Hoffner pour sa proposition a toutes les qualités de l'architecture locale, à commencer par les proportions, mais à échelle réduite. Cette ancienne maison de pêcheur, rue du Confluent, est plus qu'un point de départ. Le logis réduit suggère l'espace de vie minimum, celui de la cellule monacale, d'un seul corps. C'est pour l'artiste à proprement parler une matrice.

Avec Intérieurs, Marie-Jeanne Hoffner effectue une mise en abîme de la maison à l'aide d'une maquette qui en conserve l'esprit, mais s'affranchit des détails des façades. Ce n'est pas le visiteur qui pénètre, mais la maquette qui, telle une poupée russe, semble s'extraire par l'encadrement de la fenêtre et vient en balcon sur la rue. On assiste à une inversion du sens d'observation habituel du dedans vers le dehors.

Dans ce redoublement de la réalité construite par le modèle, la symétrie ajoute à l'incongruité de la situation. L'œuvre offre une sorte de double-jeu où la maison se réfléchit et "décolle" du réel. Elle n'est plus un objet stable, immuable, mais ouvre une fenêtre sur l'imaginaire. Depuis le dedans, une luminosité particulière renforce l'impression de mystère. Par les ouvertures ménagées dans la réplique en bois, la curiosité pousse à regarder pour apercevoir quelques éléments de l'intérieur : plafond, cheminée, murs. Mais on en saura pas plus, la suite de ce déplacement immobile s'invente dans l'esprit de chacun...

Intérieurs







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Jason KARAINDROS

Nous ne sommes pas ici


En visite à Candes, ce qui a le plus marqué Jason Karaïndros, c'est le fleuve, l'échelle de l'espace "naturel" et leur proximité avec la centrale nucléaire d'Avoine. De retour à l'atelier, il a entrepris des recherches iconographiques sur les sites nucléaires civils français. Partant du plan officiel de l'opérateur EDF, il a réalisé un travail numérique de cartographie des 19 localités concernées. Les pictogrammes qu'il en a tirés sont à mi-chemin entre la réalité et le caractère abstrait de sa représentation. Trois éléments les composent : une surface bleue pour la mer et/ou le(s) fleuve(s), blanche pour le territoire et un point rouge pour l'emplacement du site.

Nous ne sommes pas ici prend la forme de 19 drapeaux, installés sur de hauts mats dans le jardin de la maison de G. Joy et H. Dutilleux, face à la confluence. Les mats disposés en ligne sur trois côtés du jardin, rappellent les alignements officiels de drapeaux que l'on retrouve dans nombre d'institutions internationales. A ceci près qu'ici, les lieux auxquels ils renvoient sont énigmatiques. L'emblème créé ne dit pas l'appartenance de tel ou tel.

Il ne s'agit pas seulement de dénoncer le nucléaire en France ou dans le monde, mais de s'interroger aussi sur la complexité du territoire, de nos sociétés contemporaines. Parmi ces 19 sites, les bords de Loire sont un exemple, mais au même titre que les autres : le vivant, la nature cohabitent tant bien que mal avec la technique des hommes, apparent paradoxe. Aussi, si le monde est fini, connu, l'ailleurs est encore possible dans le partage des situations vécues. Nous ne sommes pas ici dit quelque chose de l'équilibre instable qui est le nôtre et du danger de considérer que les questions posées appellent des réponses simples, univoques.

Nous ne sommes pas ici




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Cécile LE TALEC

Dans les caves de l'Abbaye, Cécile le Talec présente trois œuvres autonomes, créées dans le cadre de cette recherche et qu'elle réactive à l'occasion de l'exposition.

Graphies
2012

A l'entrée des caves dans la première pièce, un écran noir est le support d'une vidéo muette intitulée Graphies. Une main, que l'on devine de chef d'orchestre, semble balayer l'air et conduire une hypothétique pièce musicale. Rien ne dit que les musiciens lui font face. Le visiteur reste suspendu à elle, dans l'attente d'une œuvre improbable.

Les Impurs (de la série)
2008

Dans la pièce adjacente comportant un ancien four, sous une voûte, un sol noir semblant flotter accueille une batterie de verre de la série Les Impurs. Elle a été créée initialement pour être présentée accompagnée d'un Crytalwaker, d'une Flûte de verre pour quatre joueurs. Ici, l'œuvre est également muette, mais a été conçue pour être jouée comme un instrument traditionnel. A l'occasion du vernissage, Cécile le Talec a organisé un concert-performance où, entre autres, le percussionniste Didier Plisson l'utilise. Son jeu est adapté à cet instrument atypique, pour lequel Cécile le Talec a cherché une dimension de fragilité. Aussi, la possibilité d'une cassure, qu'un élément de verre vienne à se briser, est inhérente à l'œuvre.

Rhapsodiscs
2010
Faisant écho au périple chinois de l'artiste, l’installation Rhapsodiscs se présente au cœur d’une salle baignée dans l’obscurité, des socles aux silhouettes anguleuses rappellent les profils des grands immeubles qui scandent les métropoles. Ils présentent des platines qui diffusent des compositions gravées sur disques vinyles bleus fluorescents. Le dispositif est accompagné par la projection d'un film en bichromie qui projette une image de ville la nuit en panoramique (dont les séquences ont été réalisées à Pékin, Shanghai, Guyang et dans la province du Guizhou). Traitées en bleu et noir - couleurs omniprésentes dans les vêtements Miao - les images réunies glissent du visible à l’invisible, aux confins de l’éblouissement.
Conçues au départ d’enregistrements effectués en Chine, les plages sonores - bruits de la ville, sifflements, bourdons harmoniques de la République Tuva (Russie), paroles, percussions - résonnent en parallèle et se superposent pour former un orchestre. Cette mécanique lumineuse rappelle le mouvement des astres, continu et imperceptible. L’isolement et la pénombre favorisent la concentration et l’éveil des sensations. Dans cet espace privilégié, compositions sonores et images se trouvent nettement dissociés, de manière à révéler les enjeux perceptifs liés à leur mise en relation.
La diffusion simultanée du film et de plusieurs pistes sonores confronte le visiteur à la nécessité d’opérer des choix : le voici convié à sélectionner ses points de vue et ses points d’écoute pour élaborer sa propre ligne narrative. La réception s’affirme pleinement comme acte de composition, au même titre que la transmission.
L’installation exprime la dimension concrète du son, de même que la composante matérielle de tout enregistrement. Le microsillon offre un caractère palpable aux informations sonores, tandis que la présence sculpturale dialogue avec le corps du visiteur. Dans le même temps, les données visuelles contenues dans les vidéos se signalent par une composante abstraite et musicale.
Par l’alliance du son et de la vidéo, Cécile Le Talec nous invite à conduire notre propre traversée intérieure entre domaines familier et étranger, territoires matériel et immatériel, à la rencontre d’états vibratoires universels. (Texte du Musée Curtius, Liège, pour la manifestation Europalia).


Rhapsodiscs




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Stéphanie NAVA

Ciel étoilé monocorde de juillet
 
Installée dans la cour de la maison de Geneviève Joy et Henri Dutilleux, dont les murs découpent à la verticale un morceau de ciel, Stéphanie Nava s'intéresse aux sources d'inspiration du compositeur. Dans un entretien, celui-ci évoque son goût pour la peinture, le ciel, citant La nuit étoilée de Vincent Van Gogh comme ayant influencé son œuvre Timbre, espace mouvement.

Stéphanie Nava décide d'explorer les relations entre musique contemporaine et mathématiques, et plus largement les cosmogonies, l'univers, les coïncidences entre les lieux, les arts et les sciences. Elle établit des correspondances entre Pythagore (VIème siècle avant J.C.) qui aurait déterminé les rapports mathématiques régissant les intervalles musicaux dans les harmonies grâce au monocorde, instrument que le savant Robert Fludd revisite au XVIIème siècle pour établir un système de compréhension général de l'univers, et Christiaan Huygens (XVIIème siècle) qui met au point une horloge marine articulant le temps et l'espace par rapport aux étoiles.

De cet ensemble, Stéphanie Nava extrait quatre éléments - le ciel étoilé, les constellations dont ne subsistent que les traits, le monocorde et une coupe de l'horloge - dessinés en réserve sur de grandes plaques de verre. Dans la logique de cette organisation "supérieure", les dessins sont disposés aux quatre points cardinaux.

Au centre, une table de jardin invite à considérer la quiétude de la cour en retrait de la rue. Le cercle qu'elle dessine fait écho aux dessins et porte en peinture la dernière page du poème Un coup de dés jamais n'abolira le hasard de Stéphane Mallarmé. La poésie a ici valeur de synthèse, dans un poème dont la structure et la mise en forme originelle installent des blancs dans la page, intervalles de silence qui ont autant de valeur que les mots. Ces silences qui ont la même importance dans la musique contemporaine.

Ainsi, la boucle est bouclée dans la manière dont Stéphanie Nava a construit cette œuvre où, comme le dit le poète, "RIEN N'AURA EU LIEU QUE LE LIEU" et "Toute Pensée émet un Coup de Dés".

Ciel étoilé monocorde de juillet







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Olivier NOTTELLET

passe-passe
Dans la cabane du passeur de l'ancien bac qui reliait les deux rives de la Vienne, édicule admirablement situé, Olivier Nottellet propose ce qu'il appelle "un dessin dans l'espace". Il n'est pas ici question d'un trompe-l'oeil ou d'une quelconque camera oscura. C'est une évocation qui passe par une expérience physique et visuelle. La passant n'entre pas dans la cabane mais est invité à regarder à l'intérieur par les trois fenêtres situées d'un même côté. Dedans, Olivier Nottellet construit un double de la façade, une cloison blanche où les ouvertures sont évoquées par des plaques de verre posées sur une feutrine noire pour les fenêtres, par une couverte de peinture noire pour la porte.

Lorsqu'il arrive devant la cabane, le visiteur comprend d'emblée qu'un dispositif modifie la perception de l'intérieur, sans en comprendre les ressorts. L'effet miroir du verre lui renvoie son image, redoublée par le reflet des vitres extérieures. La coupe hachée de la feutrine rappelle les formes de la végétation. Au-delà de son reflet, c'est l'ensemble du paysage qu'il a derrière lui, l'eau, les nuages, le ciel, le feuillage des arbres, qui est pris dans cette "découpe", ce cadrage visuel à l'envers. Car le regardeur semble bien pris au piège de ce qu'il voit sans en discerner complètement les limites : où cela commence t-il et jusqu'où cela va t-il ?

Comme souvent dans son travail, Olivier Nottellet aborde la question des points de vue multiples, propose l'expérience d'un espace. Ici, il est étrangement clos et très ouvert à la fois. De la cabane aux dimensions limitées, il fait une chambre d'écho visuel dotée d'un effet perspectif vers l'intérieur mais aussi vers soi et le paysage.

Olivier Nottellet imagine que la Vienne et la Loire, à l'endroit de leur rencontre, sont, comme tous les fleuves, nourries d'histoires de fantômes, d'esprits vagabonds. La fonction de la cabane évoque d'ailleurs l'autre côté, la possibilité de faire le saut, d'adopter un point de vue différent. Le mot passeur est compris comme l'hypothèse que nos regards peuvent se transformer.

Après tout, la chaussure en équilibre, prise entre deux tasseaux, ne témoigne t-elle pas de cet esprit qui habite l'œuvre et le lieu ?
 

passe-passe





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David RENAUD

Proto-véhicule

À l’entrée de Candes Saint-Martin, un garage désaffecté des années cinquante abrite une forme obscure. Un étrange véhicule ou plutôt ce qui ressemble à un prototype, se dessine dans l’ombre du bâtiment, le Proto-Véhicule de David Renaud.

Sa forme, ovoïdale, emprunte autant aux derniers concept-cars qu’aux fusées spatiales ou autres engins futuristes issus de l’imaginaire de la science-fiction. Tout en bois, de grande dimension (environ cinq mètres de long), son volume est simplement suggéré par la juxtaposition des plaques tirées des plans de coupes verticales, comme modélisé en trois dimensions.

Le Proto-Véhicule est un hybride invraisemblable, inspiré aussi par la forme des barques de la Loire, à l’instar de celles amarrées en contrebas au bord de la Vienne. Il mixe sa forme ovoïdale tout droit sortie d’un Comic’s américain telle une Batmobile, avec celles qui pourraient tout aussi bien provenir de l’imaginaire d’un Léonard de Vinci inventeur.

Noir, il semble passé au goudron comme les toues, furtif comme un F117 Nighthawk. Dans sa forme aboutie, celle de la sculpture, l’œuvre brute évoque un dessein, un projet utopique ou visionnaire, à partir duquel l’on imagine l’engin, tour à tour vaisseau amphibie ou bolide noir, destiné à de folles aventures.

Le Proto-Véhicule fait écho au Méta-Véhicule (sculpture de 2011 à la forme géométrique pure, l’hexacontaèdre pentagonal) et joue – lui aussi - autant la science que la fiction. Toutes deux sont pour l’artiste moteurs et vecteurs d’une exploration qui relève dans son travail, de la question de la représentation et de celle la modélisation. La forme traduit le projet et donne à voir l’attachement de l’artiste à la propension spéculative de l’art, comme pensée, langage et conception du monde, au même titre que la science ou la philosophie.

Le Proto-Véhicule rappelle aussi un ensemble de dessins de l’artiste, qu’il nomme Anthropomobiles, conçus comme une série sans fin de formes hybrides, mi-mécaniques, mi-organiques, témoignant d’une morphogenèse en constante évolution.
Isabelle Delamont
 

Proto-Véhicule







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Michaël SELLAM

A Candes Saint-Martin, l'un des fils directeurs de la proposition de Michaël Sellam pourrait être l'itinérance, le déplacement. Aussi il propose trois oeuvres, installées en divers lieux du parcours.




 

Death trip

Selon la légende, le corps de Saint-Martin, évêque de Tours mort à Candes, fut subtilisé de nuit par les tourangeaux et transporté par bateau à Tours, où il fut enterré. Death trip est une évocation de ce voyage aux croisements de la science fiction et de l'archéologie. L'approche minimaliste de l'œuvre est confrontée à la multiplicité des médiums ici convoqués : sculpture, vidéo, travail sonore... Le plan noir au sol, à mi-chemin entre une abstraction d'un sarcophage et d'une barque, contient physiquement l'écran sur lequel défile des images de la voûte céleste, l'enceinte y diffuse une expérience sonore entre documentaire et fiction. Seul émerge un avant bras retourné, dont la main ouverte est posée. Quatre points lumineux scintillent de rouge, comme le rappel d'un élan vital, tandis que la main semble prête à capturer un corps, un esprit... Nous sommes conviés à imaginer ce que Saint-Martin a pu, aurait pu voir au long du voyage nocturne sur la Loire.



Death trip


White bicycle

En 1965, à Amsterdam, le mouvement Provo lance l'opération "Witte fiets" (bicyclette blanche) proposant l'usage complètement libre de vélos peints en blanc. Quelques années plus tard, Joe Boyd crée le Club UFO à Londres, programmant les premiers groupes de Folk à tendance psychédélique anglais. White Bicycle est la rencontre de ces deux événements de l'histoire de l'émancipation culturelle. Équipé d'un amplificateur et d'un microphone, un vélo blanc appuyé le long d'un mur, à des endroits différents selon les jours, attend son utilisateur. Il devient alors un instrument de musique, sorte de guitare électrique ambulante qui s'active lors de ses trajets d'espace en espace.



White bicycle





 

Blasters

Symboles de la musique portative et des revendications culturelles afro-américaines des années 1980, personnages à part entière du film Do the right thing de Spike Lee, trois radiocassettes "Blasters" sont posés côte à côte dans la remise. Désactivés, ils ont été moulés et transformés en objets architecturaux uniformes en plastique noir, en plâtre et en béton. L'un d'eux laisse entendre une musique étrange sous son épiderme modifié. Ce sont les souvenirs, les fantômes de la révolte de cette époque.

L'ensemble des trois œuvres constitue une partition, un programme autour de la notion de musique en mouvement et du sonore qui se déploie dans l'espace. Évoquant des formes anciennes, voire nostalgiques, elles constituent une réflexion sur l'Histoire et sont trois invitations à ne pas oublier.



Blasters








Crédits photographiques : Marie-Jeanne Hoffner, Alexandre Kong-A-Siou, Stéphanie Nava, tous droits réservés